Il faut parfois patienter pendant des décennies pour que certains albums soient réédités ; le moins que l’on puisse dire, c’est que « Gloomlord », second album des Floridiens de WORM, n’aura pas connu un tel Purgatoire, puisque sa sortie initiale (chez Iron Bonehead Productions) date seulement de… 2010 !!! Pourquoi alors chroniquer une réédition aussi rapide ? Tout simplement parce que, jusqu’à présent, nous avons loupé chacune des sorties de ce groupe atypique, à commencer par l’inaugural et confidentiel « Evocation Of A Black Marsh » (2017) et par le troisième album, « Foreverglade » (2021). Cette réédition permet en quelque sorte un rattrapage salutaire.
Une fois n’est pas coutume, je vais faire référence à mes expériences passées. Dans les années 80 et 90, rien de m’attirait tant que les groupes développant des approches extrémistes, tordues, complexes, obscures, exigeantes. Des noms ? En vrac : CELTIC FROST, VOIVOD, CORONER, WATCHTOWER, DISEMBOWELMENT, DISHARMONIC ORCHESTRA, MY DYING BRIDE, ABSU… Ce second album de WORM m’évoque irrésistiblement certaines franges du Metal extrême de la décennie 85-95, telles que je les adorèrent alors.
Premier indice, le son global de l’album ne coche aucune des cases aujourd’hui communément admises et attendues. Pas de saturation du spectre sonore, pas d’approche chirurgicale, pas d’impact massif. Ici, la caisse claire semble trop ténue et terne, les cymbales sans ampleur. Les riffs de guitare ressemblent souvent à des vibrations en bruit de fond. Les sonorités des arrangements de claviers paraissent avoir été récupérées dans un dépotoir datant de la toute fin des années 70, début de la décennie suivante. Arte Poverta version Metal, en somme.
Second indice, les compositions regorgent de breaks, de changements en tous domaines (rythme, tempo, ambiances). Ne nous méprenons pas : WORM ne cherche aucunement à décrocher un brevet d’avant-gardisme, pas plus qu’il ne vise un diplôme en Rock progressif. Le fait est que WORM semble ne s’autoriser aucune limite. Que ce soit sur le plan stylistique, n’hésitant pas à convoquer autant que de besoin l’héritage vocal et instrumental du Doom Metal (lenteur et lourdeur, frôlant aprfois les abîmes du Funeral Doom), du Death Metal (accélérations plombées, vocaux caverneux), du Black Metal (riffs en trémolos, vocaux fielleux). Ou en matière d’ambiances : agressivité frontale, plans plombés, plages hantées par des mélodies tordues, le tout s’interpénétrant constamment.
Pour les vétérans (comme moi), comme les impétrants, l’écoute de cet album constitue un périple exigeant, qui nécessite de larguer les amarres, afin de mieux dériver au gré des pulsions brutales et rêches et des effluves émanant d’un romantisme putréfié.
Embrassant pleinement toutes les techniques de captations d’héritages, WORM parvenait dès son second opus à poser des bases éclatées mais cohérentes, disparates mais convergentes. Un conseil de la part d’un vétéran ? Mettez-vous en danger : acquérez « Gloomlord », prenez vos risques, encaissez des frissons inédits. Bref, profitez sans réserve de la brutalité crue, de la pesanteur primitive, de la complexité impulsive des longues compositions (entre sept et onze minutes, hormis l’introductif « Putrefying Swamp Mists At Dusk », dépassant quelque peu les quatre minutes), des sonorités déclassées qui, confrontées des pulsions brutes et vindicatives, regagnent en expressivité. Mais surtout, résignez-vous à devoir subir des
Album des extrêmes, album troublant, œuvre en tout cas vivifiante. Que se multiplient les rééditions de ce type !
Alain Lavanne
Date de sortie: 20/01/2023
Label: 20 Buck Spin
Style: Black Doom Death Métal
Note: 17/20
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