Certes, les fondateurs de KAMPFAR ne peuvent prétendre faire partie des groupes à l’initiative de l’éruption du Black Metal en Norvège à partir de 1993 ; pour autant, ils peuvent revendiquer de ne pas avoir attendu une quelconque deuxième vague, mais bien d’avoir surfé sur la première, puisque leur première démo date de 1994, leur premier EP trois titres de 1996, et leur premier album, le mémorable « Mellom Skogkledde Aaser » remontant à 1997. S’ensuivirent, avec quelques irrégularités, sept autres albums, avant que se présente à nous « Til Klovers Takt ». Autant dire qu’en matière de légitimité et d’expérience, KAMPFAR n’a de leçon à recevoir de quiconque.
Mais, après tant d’années consacrées au Black Metal, les mêmes enjeux reviennent encore et encore : comment ne pas trahir l’esprit originel du Black Metal, sans pour autant sombrer dans la répétition, au risque de sombrer dans le conservatisme, voire l’auto-parodie. Comme il l’a réalisé jusqu’à présent, le groupe parvient encore une fois à se tirer d’affaire, principalement en proposant de véritables compositions, plutôt qu’une collection d’exercices de style, ultra-codés et bornés par le poids de la tradition. En effet, chacun des six titres de l’album possède une personnalité qui lui est propre, permettant une multiplication des approches, des ambiances, des dramaturgies à l’œuvre. Pour autant, la cohérence de l’interprétation et du son d’ensemble assure à l’album une cohésion intacte.
Sans pour autant se livrer à une fastidieuse analyse titre à titre, il est intéressant de relever quelques particularités révélatrices de cette qualité de composition. Ainsi, le long morceau introductif (plus de 8’30 tout de même) s’ouvre sur de laconiques riffs de guitare en son clair, avant qu’une rythmique lourde n’installe une reptation mid-tempo implacable, hantée par des vocaux vénéneux, eux-mêmes soutenus par des chœurs magistraux. Passé le cap de 1’30, un break dépouillé et mélodique brise cette séquence empruntant autant au Black qu’au Doom. Moins d’une minute plus tard, émerge une lame de fond dense, âpre et rapide, pure démonstration d’efficacité brutale, typiquement Black Metal. Avec ces vocaux écorchés et gutturaux, haineux et menaçants. Tout au long de cette belle pièce, le groupe n’aura de cesse de jouer avec dextérité et tranchant sur des contrastes francs et des alternances brusques. Soit la meilleure des cohabitations entre ambiances mélancoliques et prurits vénéneux. Bonne entrée en matière…
Le second morceau, « Urkraft », se contente certes d’une durée de plus de 7’30, mais se fait annoncer par des lignes de basse grondantes et tendues, sous-tendues par une batterie en mode tribal et par des riffs de guitares rêches, qui virent en mode clair lors d’un break inattendu au bout de deux minutes. Bien entendu, l’écrasement rythmique reprend de plus bel, avec une alternance de tempos médiums et trépidants. Même les vocaux incroyablement hostiles concèdent des séquences plus articulées.
Les compositions de « Til Klovers Takt » affichant majoritairement des durées conséquentes (une au-dessus de 7’30, pas moins de trois dépassant les huit minutes) favorise grandement le déploiement de structures relativement complexes, à base de séquences imbriquées et de césures franches. Forcément, l’évocation d’une modalité progressive s’impose, sans que cela n’amenuise de quelque manière que ce soit l’âpreté et la brutalité abrasive, caractéristiques indispensables à tout Black Metal qui se respecte. Composition, arrangements, interprétation, mise en son : dans ces quatre dimensions essentielles, KAMPFAR fait montre d’un équilibre inné entre des tendances a priori contraires : atmosphère versus brutalité, subtilité versus efficacité frontale, rapidité versus lenteur, son limpide versus rendu âpre, rythmiques terre à terre versus chevauchées épiques… Certes, « Til Klovers Takt » ne peut prétendre à un statut d’album de rupture, en ce sens qu’il ne marque pas une prise de risque ni même une évolution franche. Mais, par contre, quelle démonstration de maîtrise et d’expressivité sombre ! Après tant d’années de carrière, cela suffit à susciter le respect. Pour ma part, je n’hésiterais pas à conseiller cet album à un.e impétrant.e souhaitant découvrir le Black Metal de nos jours.
Alain Lavanne
Date de sortie: 11/11/2022
Label: Indie recordings
Style: Black Métal
Note: 18/20
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