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FORLESEN “Black Terrain” (Etats-Unis)

forlesen2022

Commençons par une confession : en 2020, j’ai totalement raté la parution chez Hypnotic Dirge records de « Hierophant Violent », premier album de ce groupe de la côte ouest des Etats-Unis (Californie à l’origine, Oregon aujourd’hui). Pourtant, sans être des figures populaires, ses membres ne sont toutefois pas de parfaits inconnus, puisqu’ils évoluent – ou ont évolué – au sein de formations notables et reconnues, comme LOTUS THIEF, KAYO DOT, BOTANIST, NERO ORDER ou MAUDLIN OF THE WELL. Un CV qui dénote un goût pour l’exploration, pour l’expérimentation, pour l’hybridation, pour l’ambition, pour le dépassement. Autant vous le dire d’entrée de jeu, « Black Terrain » s’avère être typiquement le genre d’album qui explore, expérimente, hybride, le tout avec ambition et dans un souci de dépassement.

Premier indice : ce second album ne comporte que quatre titres mais atteint presque une heure de durée totale. On s’en doute, cela implique des formats très conséquents, le titre éponyme frôlant les neuf minutes, « Harrowed Earth » calant à 12’30, « Saturnine » se hissant à plus de dix-huit minutes, « Strega » culminant à plus de dix-neuf minutes : quand vous vous trouvez au pied de tels sommets, vous faites preuve au minimum d’humilité, voire vous craignez de ne pas pouvoir les gravir…
Vous débutez l’ascension par le sommet le plus imposant, sous le signe de la sorcière (strega, en italien) et, là, les indices commencent à s’accumuler, autant susceptibles de vous livrer des repères que de vous plonger dans un vertige total ! D’abord douce, l’introduction se mue en étranglement, qui finit par déboucher sur des riffs monstrueux, posés sur une section rythmique massive, propulsant un tempo lent, terriblement inéluctable. Clair, presque faible, le chant masculin semble bien fragile, presque dérisoire dans un t el contexte, même soutenu par des claviers obsédants, a fortiori quand l’ensemble rythmique reprend pesamment sa progression. Heureusement, des harmonies délicates (notamment féminines) viennent soutenir par vagues ce brin de voix. De même que des notes de guitare claires et résonnantes parviennent à s’immiscer parmi ces riffs massifs et sales, parmi cette batterie laconique au possible et cette basse saturée et tendue. Au bout de 7’30, un break se fait, qui aboutit à une scansion rythmique moins monotone, plus soutenue, les chants masculins et féminins se conjuguent et s’affirment, le tout produisant un effet dangereusement hypnotique. A dix minutes, l’intensité devient telle que les vocaux saturent et se chargent brièvement de menace… avant qu’un break dépouillé n’ouvre la voie à une rythmique désossée, ponctuée de sursauts magmatiques et hantée par la voix claire et subtile de Bezaelith (LOTUS THIEF, ancienne de BOTANIST), momentanément perturbée par des vocaux écorchés et maladifs typiquement Black Metal. Au sortir d’un tel morceau, quelle catégorie invoquer, quels repères installer avec un tant soit peu de certitude ? Les lenteur et pesanteur majestueuses du Doom ? L’hypnotisme du Drone Metal à la OM ? La crasse boueuse du Sludge ? Le Stoner Doom abrasif à la ELECTRIC WIZARD ou plus atmosphérique à la WINDHAND ? Le Post Metal et le Post Hardcore (NEUROSIS, ISIS, PELICAN, MINSK, CULT OF LUNA, THE OCEAN…) ? Le Metal industriel (GODFLESH) ? rien ne serait erroné et on pourrait aussi évoquer le Rock épais et psychédélique d’IRON MOUNTAIN. On pourrait surtout énumérer encore et encore, et, pour autant, ne pas parvenir à fixer une définition fiable et fidèle du style développé par FORLESEN. Indice de génie ou confusion savamment entretenue. On pencherait en faveur de la première option, tant la prolifération des configurations au sein de ce morceau-monstre n’obère en rien sa progression dramatique et sa cohérence d’ensemble. Il suffit d’accepter de prendre le recul – ou l’envol – adéquat pour bénéficier pleinement du dispositif.

Placé en seconde position, le morceau éponyme se trouve davantage habité par des vagues puissantes et par des couches épaisses de bruits bruts : magma saturé guitare-basse, martèlement de la batterie, vocaux fantomatiques. Un riff de guitare brut ne s’impose qu’un peu avant la 5ème minute. Après de longues minutes de lancinance, l’ensemble chavire quelque peu avec l’introduction de sonorités plus stridentes et de vocaux plus extrêmes (complètement mixés au sein du bitume instrumental).

Prenant la relève, « Harrowed Earth » défonce tout sur un tempo d’enfer, en mode Death old school, parfumé au Crust Punk le moins hygiénique, le batteur se chargeant de maintenir tout ceci en cohérence. L es vocaux douloureusement écorchés introduisent une dimension Black Metal. Pendant six minutes, se maintiennent un train d’enfer et une intensité maladive, avant que n’émerge une plage dépouillée, presqu’apaisée, hantée par le chant spectral de Bezaelith, rehaussé par des chœurs presque liturgiques, les vocaux BM tentant de s’interposer. Sur le double plan dramatique et émotionnel, cette séquence s’avère particulièrement marquante ! Un solo de guitare limpide et bluesy se charge d’assurer la transition vers un final instrumental riche, dont l’intensité va decrescendo.

En clôture, la géante « Saturnine » accueille l’auditeur avec des riffs monumentaux, âpres et granitiques, qui cèdent la place à une longue séquence atmosphérique brumeuse et sensible. Le cap des huit minutes se trouvant franchi, des riffs granuleux et rêches résonnent, sans que la section rythmique n’ait fait sa réapparition. Réapparition qui se produit un peu avant dix minutes, en mode subtil, presque précautionneux, alors même que les guitares sursaturées délaissent le premier plan. Pendant de longues minutes, entre guitares électriques presque lapidaires et dépouillées, marques vocales presque spectrales, il faut attendre la douzième minute bien entamée pour des chants combinés masculin-féminin (mixés en retrait, avec un effet spectral presque psychédélique) et une activité section rythmique et guitare (wah-wah déployée) ne reprennent les rênes. Animé par un solo de guitare intense, ce dispositif se prolonge de longues minutes durant, confirmant le psychédélisme obsédant et lourd du dispositif général de cette composition.

Alors, « Black Terrain » est-il un taudis prétentieux d’influences mal maîtrisées, ou au contraire un pandemonium suprêmement conçu, construit, puis interprété par des musicien.ne.s exigeants et audacieux ? Vous l’aurez déjà largement compris, j’opte pour la seconde option et je décrète « Black Terrain » album d’utilité publique, en tant que phare de la musique extrême.

Alain Lavanne

Date de sortie: 28/10/2022

Label: I, Voidhanger records

Style: Doom Sludge Métal progressif

Note: 19/20

Ecoutez ici

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