L’album sans titre dont il est ici question représente la première incursion discographique d’un quartette italien, originaire de la petite ville de Piacenza. A l’origine de ce projet, le guitariste Gabriele Finotti s’est adjoint les services de la chanteuse Vittoria Ipri, du bassiste Alex Viti et du batteur Gabriele Gnecchi, afin de les emmener dans une démarche ambitieuse, car convoquant de nombreux genres différents. Avec à la clé un album fort en gueule, fascinant de par son interprétation totalement investie et expressive, de par sa mise en son puissante et vivante, enfin et surtout de par la qualité et la variété de ses six compositions propres, et de sa reprise (nous y reviendrons).Profitant pleinement de l’avantage stratégique que représente le recul sur plusieurs décennies de créativité Pop et Rock, le groupe ne s’est pas privé de piocher là où bon lui semblait.
Tentons d’abord de cerner le périmètre dans lequel DESERT TWELVE a choisi d’évoluer. Le nom du groupe et son ancrage désertique convoque forcément tout l’imaginaire rebattu du Stoner et du Desert Rock ; effectivement, les fans de ces sous-genres trouveront leur pesant de rythmiques rebondies, de riffs trapus et d’ambiances tour à tour exhalant des relents d’huile de moteur cramée ou évoquant de vastes espaces stellaires. Cependant, on comprend vite que ces accointances avec le Stoner et le Desert Rock relèvent évidemment d’un corpus d’influences plus anciennes : Hard Rock 70’s ou assimilé, Heavy Rock, Blues Rock, Rock psychédélique et j’en passe. Citons en vrac pour les références les plus anciennes AEROSMITH, JAMES GANG, BLUE CHEER et consorts, pour ce côté Rock graisseux et bluesy, n’oubliant cependant jamais les mélodies qui agrippent l’oreille.
Autre dimension absolument essentielle, la capacité du couple rythmique à installer un groove, tantôt impérieux et nerveux, tantôt plus subtil. Ce qui fait que, même quand le guitariste lâche des riffs velus et trapus, le résultat ne sonne jamais comme une énième tentative de dresser une muraille sonore infranchissable, si typique d’un très grand nombre de productions Metal de ce siècle. Je vous mets au défit de ne pas tortiller du croupion sur les morceaux mid-tempo, envoûtant comme « Everyone Against », ouvertement émoustillant comme « The Keeper Of The Space Time Cage » !
Cela dit, en termes d’écriture, d’interprétation et d’arrangements, l’idée n’est assurément pas de circonvenir l’auditeur par le biais de procédés impératifs et dominateurs, tant nombreuses sont les plages, étendues ou brèves, qui misent sur l’intimité et la subtilité, avec souvent des oscillations psychédéliques (guitares acides, claviers vintage, l’harmonica furieux à la CANNED HEAT) qui se mettent au service de la composition, plutôt que de jouer le rôle d’arrangements-clichés ostentatoires. Tout au long de l’album, l’équilibre entre puissance, groove et délicatesse demeure de bout en bout absolument irréprochable tenu. Et ce d’autant plus que, si les compositions privilégient des durées axées sur l’efficacité, au moins deux titres explosent le cadre.
« Butterfly Snake » qui, au fil de ses 8’38, débute en mode acoustique paisible, pour s’épaissir au bout de trois minutes, en mode mid-tempo lancinant, et vire au psychédélisme épais au bout de cinq minutes, avant de finir vers une répétition ad libitum du motif rythmique et hypnotique : ou quand le Metal mène à la transe…
Placé en ouverture d’album, « Your Cold Cold Desert Heart » s’avère encore plus imposant et libre dans son format : mesurant plus de onze minutes au garrot, le bestiau débute par un riff vicieux et rampant, rappelant furieusement celui de « She » de KISS (album « Dressed To Kill », 1975, sans compter une version ultime sur « Alive » la même année), et un jeu de contrastes entre calme et intensification des débats s’installe, quitte à aboutir à un break acoustique élégiaque à 7’30, qui se décline jusqu’à la fin du morceau. Le groupe a tellement confiance dans ce morceau qu’il l’a placé en pole position et en a fait une vidéo : quand la classe rime avec audace !
Il est enfin temps de révéler l’arme ultime déployée par DESERT TWELVE, tout en précisant que cette arme serait un pétard mouillé sans des compositions fortes et inventives, sans une production vivante et un mixage puissant et détaillé, sans des musiciens pleinement en maîtrise sur les plans technique et émotionnel. Cette arme décisive, c’est la voix de la chanteuse Vittoria Ipri. Oscillant entre les registres médium et grave, elle ne s’efforce à aucun moment de correspondre aux nombreux clichés des chants typés Metal : pas de rendu agressif et guttural, pas plus que de vocalises soi-disant néo-classiques. Juste une voix chaude et universelle qui dynamise un répertoire déjà fort divers, néanmoins cohérent : imaginez un mixte entre Chryssie Hynde (THE PRETENDERS) et Alanis Morissette pour le grain de voix profond, avec ce supplément de passion qui sied si bien au Metal. Outre la justesse et la puissance de ses lignes de chant, la chanteuse assure une grande variété dans ses expressions, sans jamais verser dans la démonstration, pas plus que dans l’excès de pathos. Dans le contexte à la fois versatile, pleinement cohérent et impérialement maîtrisé de DESERT TWELVE, Vittoria Ipri imprime sa marque, avec autorité et sensibilité, insufflant incontestablement un supplément d’âme au répertoire de la formation.
Preuve que le groupe se sent parfaitement à l’aise avec la diversité de ses inspirations, ainsi qu’avec sa capacité à y faire face, DESERT TWELVE se fend d’une reprise du tube planétaire « In The Air Tonight » de Phil Collins, initialement paru en 1981 sur l’album « Face Value » qui s’ouvrait sur cette composition hypnotique et addictive, certes symptomatique d’années 80 naissantes, marquées par une approche portée sur les sonorités synthétiques, néanmoins subtilement héritée du Rock progressif de la décennie précédente (à cette date, qui aurait osé proposer un single lancinant, durant plus de cinq minutes ?).
Sans esprit polémique, la composition originelle possède des qualités rythmiques et mélodiques marquantes (sans parler de la production et des arrangements) que la reprise transcende littéralement. Certes, Vittoria Ipri ne possède pas le timbre nasal de Phil Collins, mais elle apporte sa profondeur et, surtout, une expressivité émotionnelle maîtrisée, à rebours de l’approche un brin robotique de la version initiale. Quand le reprise menace de sublimer le jet original, il ne reste qu’à s’incliner…
Comment qualifier ce premier album de DESERT TWELVE autrement que de réussite brillante et impressionnante, impeccable réappropriation de patrimoines advenus, ici merveilleusement réactivés. Surtout, après de multiples écoutes, on se surprend à revenir encore et encore à ces sept titres absolument addictifs. Faîtes comme moi : succombez !
Alain Lavanne
Date de sortie: 29/06/2022
Label: Orzorock Music
Style: Heavy Rock
Note: 18,5/20
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