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PROTECTOR “Excessive Outburst Of Depravity” (Allemagne)

PROTECTOR2022

Au milieu des années 80, le public et les journalistes spécialisés semblaient convertis aux mouvements de radicalisation qui bousculent le Heavy Metal (ou les admettaient, ou les tolèraient) : Speed, Crossover et surtout Thrash accouchèrent d’une masse grouillante de formations toutes plus rapides et abrasives les unes que les autres. A peine les pionniers METALLICA, MEGADETH, ANTHRAX et SLAYER en voie d’institutionnalisation (avec des accessits pour EXODUS, TESTAMENT et quelques autres), voilà que l’Europe se réveilla et que l’Allemagne accoucha à son tour d’une tripotée de groupes de Thrash franchement plus radicaux, inspirés tant par SLAYER et par VENOM, que par le Punk Hardcore. Parmi les plus fameux, KREATOR, SODOM, DESTRUCTION et, un peu moins référentiel, TANKARD, accouchèrent d’albums âpres, agressifs, presque primitifs, instaurant de nouveaux paramètres en matière de brutalité. « Endless Pain », « Pleasure To Kill », « Infernal Overkill », « Eternal Devastation », « Obsessed By Cruelty », « Persecution Mania », avouez que cela vous transforme un paysage musical aussi radicalement qu’une préparation d’artillerie à l’obusier de 250 !
Au fil des ans, des groupes comme KREATOR et DESTRUCTION allaient évoluer vers un Thrash plus canalisé ou plus technique, SODOM poursuivant son attaque frontale avant de verser dans un Death Metal pataud lors de la décennie suivante (TANKARD s’épuisant à répéter sa recette comico-alcoolisée). Cela laissa le champ à de jeunes pousses tout aussi radicales. Parmi lesquelles des combos comme EXUMER, ASSASSIN et PROTECTOR. Qu’on me permette de penser que ces groupes ont parfois été accueillis avec une certaine condescendance, confinant même au mépris. Pour ne prendre que l’exemple de PROTECTOR, ce quartette livra coup sur coup deux albums primitifs mais jouissifs : « Golem » (1988) et « Urm The Mad » (1988, dont le titre est inspiré d’une bande dessinée du génial Philippe Druillet). Au début de la décennie suivante, le groupe livra deux albums formellement plus aboutis, quoique toujours fougueux et rugueux : « A Shedding Of Skin » (1991) et « Heritage » (1993), avant de clôturer son activité discographique avec la compilation « Lost In Eternity » en 1995.
En compagnie de musiciens suédois, le vocaliste Martin Missy réactiva PROTECTOR en 2013, avec l’album « Reanimated Homunculus », auquel succédèrent « Cursed And Coronated » (2016) et « Summon The Hordes » (2019). PROTECTOR inaugure l’actuelle décennie avec un huitième album, « Excessive Outburst Of Depravity ». Relativement replet (onze compositions, pour une durée totale de 47’), ce disque permet de constater que Martin Missy n’a en rien renié ses préceptes initiaux. En premier lieu, ses vocaux demeurent caverneux, agressifs, modulés afin d’être expressifs et franchement inquiétants. Ensuite, le substrat instrumental demeure encore et toujours un Thrash Metal propulsé par un tandem rythmique qui défonce tout, sur lequel des riffs crasseux mais étonnamment tranchants achèvent le massacre. Surtout que le tempo dominant privilégie la rapidité…

Pour autant, PROTECTOR ne saurait être résumé à une brute épaisse. A l’instar de ce que développèrent très tôt des groupes comme SLAYER (sur ses deux premiers albums) ou DESTRUCTION (sur le référentiel « Eternal Devastation »), PROTECTOR prolonge le dispositif inauguré sur « A Shedding Of Skin » et « Heritage », à savoir un agencement très dynamique de séquences simples et intenses. En somme, chaque séquence recèle intrinsèquement un potentiel pleinement activé d’agressivité. Lequel potentiel se trouve décuplé par de fréquents changements de rythmes et de tempos, lesquels transcendent la brutalité basique en une violence méthodiquement appliquée. Il y a donc à l’œuvre le souffle bestial et rauque qui réveille nos instincts primordiaux, mais également le savoir-faire réaliste qui instrumentalise et optimise les pulsions primales.

On retrouve ce paradoxe fructueux à l’œuvre dans la mise en son des compositions. Au niveau de la production, on sent une volonté farouche de préserver le côté crasseux des riffs et, pour ce qui est de la section rythmique, de favoriser un rendu global et impactant. Tout l’intelligence du dispositif réside dans un mixage qui préserve cette approche sans ambages, mais prend soin d’exposer très nettement chaque dimension. Si bien que, si ébréché soit-il, chaque riff tranche salement dans la chair. Si rauques soient-ils, les vocaux expriment des nuances d’autant plus flippantes. Quand la section rythmique semble avant tout capable de tout retourner sur son passage, force est de constater qu’elle négocie avec rigueur et souplesse les nombreux changements évoqués plus hauts.

Avec « Excessive Outburst Of Depravity », PROTECTOR ne prétend rien révolutionner mais affiche à la fois une envie féroce d’en découdre et une maîtrise dans l’art de la violence organisée. Respect.

Alain Lavanne

Date de sortie: 01/07/2022

Label: High Roller records

Style: Thrash Métal

Note: 17/20

Ecoutez ici

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